Philosophe chrétienne
Être humain, est-ce être faible ?
Dernière mise à jour : 13 juin 2022
Notre société valorise les forts et élimine la faiblesse. Mais n'est-ce pas une illusion ? Au fond, être humain n'est-ce pas être faible ?

Les hommes, des êtres naturellement faibles :
« Les hommes ne sont naturellement ni rois, ni grands, ni courtisans, ni riches ; tous sont nés nus et pauvres, tous sujets aux misères de la vie, aux chagrins, aux maux, aux besoins, aux douleurs de toute espèce ; enfin, tous sont condamnés à la mort. Voilà ce qui est vraiment de l’homme ; voilà de quoi nul mortel n’est exempt. » Rousseau, Emile, Partie IV (1762)
Nombreux sont les philosophes qui soulignent l'état de faiblesse naturelle de l'être humain.
"C'est évident !" dirions-nous. L'enfant reste pendant des années complètement dépendant de ses parents, incapable de survivre sans eux. Mais nous dépassons cette faiblesse constitutive en atteignant l'âge adulte, l'âge de l'indépendance, la force de l'âge.
Vraiment ? Cette force n'est-elle pas une illusion ?
Une faiblesse constitutive...
Quand les philosophes parlent de la faiblesse humaine, ils ne parlent pas des enfants ou des personnes âgées, mais bien des hommes en général, même dans la force de l'âge. Quelque soit notre âge, notre état de santé ou le pouvoir que nous détenons, nous sommes victimes des maladies, des accidents, de la vieillesse, et enfin de la mort. Notre intelligence, notre mémoire, notre capacité de raisonnement, sont très limitées. C'est la finitude humaine (#finitude).
... et une force toute relative :
Quand nous disons que quelqu'un est fort, cette force est toute relative, c'est-à-dire qu'elle est force par rapport à...
D'abord, par rapport aux circonstances. Quand on est fort, on est fort dans un domaine précis, à un instant précis. Mais le sera-t-on encore dans quelques temps ? Le fort d'aujourd'hui sera sans doute le faible de demain, et inversement.
Ensuite, par rapport aux autres : on est toujours fort par rapport à un faible, mais qu'un plus fort surgisse, et nous voilà faible.
Il est donc illusoire de se croire fort, tel que les gens l'entendent habituellement : fort pleinement, complètement, définitivement. Est-ce à dire que l'humain doit se résigner à sa faiblesse ?
La force d'une faiblesse qui se dépasse :
L'être humain cherche constamment à surmonter ses faiblesses pour devenir "fort". Cette force est illusoire, parce qu'elle est toute relative et de toute les façons n'est rien face à la finitude.
Mais la véritable force de l'être humain réside sans doute dans cet effort pour surmonter ses faiblesses. Cela est impossible sans les autres. Parce que l'être humain est faible, il a besoin des autres. Sa faiblesse le pousse à s'unir aux autres. C'est cela qui a donné naissance à la technologie, aux sciences, à la politique, à la morale, à l'art, bref : à la culture.
Être fort, c'est accueillir la faiblesse :
Cela nous permet de bien comprendre ce qu'est être fort. Notre société de compétition et de mérite nous laisse penser qu'être fort, c'est éliminer les faibles. Nous posons des étiquettes sur les gens, comme s'ils étaient faibles totalement et pour toujours, comme si les forts l'étaient définitivement. La faiblesse se cache, n'ose pas s'avouer. Elle est associée à la honte.
Mais quand nous pensons être fort, souvenons nous donc que nous avons été faible, et que si nous avons pu surmonter notre faiblesse, c'est grâce à des autres qui étaient plus forts que nous à ce moment-là. Souvenons nous que notre force n'est qu'éphémère, que demain, dans d'autres circonstances, face à d'autres, nous serons faibles.
Parce qu'il se souvient de cela, le fort met sa force au service du faible. Il lutte à ses côtés, mais pas à sa place. Il fait sien le projet du faible, mais ne cherche pas à le rendre semblable à lui. Comme je le disais dans cet article, par exemple, aider la personne handicapée à surmonter ses faiblesses, ce n'est pas chercher à tout prix à la rendre normale, sans quoi elle demeurerait inférieure à nous, mais c'est l'aider à créer son nouvel équilibre. D'égal à égal, d'homme mortel à homme mortel.
Cette force qui accueille la faiblesse, n'est-ce pas aussi ce que fait Dieu, le fort par excellence, vis-à-vis de l'être humain ? Pour approfondir cette idée, voyez cet article !