Philosophe chrétienne
#2 - "Tu aimeras ton prochain comme toi-même" : dans quel but ?
Dernière mise à jour : 13 juin 2022
"Tu aimeras ton prochain comme toi-même" est désigné par Jésus comme le second plus grand commandement. Nombreux sont les philosophes a avoir tenté d'expliquer cet étonnant commandement. Freud, qui pense que cet ordre est d'origine sociale, s'interroge sur sa raison d'être.

Aimer mon semblable :
Le philosophe autrichien Freud, père de la psychanalyse, était athée. Il considérait que la religion et ses préceptes sont issus de la culture. Pour lui, ce commandement n'est donc pas d'origine divine, mais d'origine humaine : c'est la société qui l'ordonne. Mais pourquoi ? Pourquoi la société exige-t-elle qu'on aime l'autre ?
Dans une première approche naïve, il comprend qu'aimer l'autre comme soi-même, c'est s'aimer soi-même en l'autre, parce qu'on se retrouve en lui :
"Si j'aime autrui, il doit d'une manière ou d'une autre le mériter. [...] Il le mérite si, sur des points importants, il est si semblable à moi que je puis m'aimer moi-même en lui ; il le mérite s'il est tellement plus parfait que moi que je puis aimer en lui l'idéal que je me fais de ma propre personne [...]." Sigmund Freud, Malaise dans la culture, chapitre 5 (1930)
Cet amour est déjà celui que nous pratiquons au quotidien, naturellement. Nous aimons nos semblables, ceux qui partagent nos us et coutumes, nos valeurs, nos croyances, nos opinions. Mais quant à ceux qui nous sont étrangers, reconnaît Freud, il nous est difficile de les aimer. L'amour est préférentiel.
Si c'est là le sens du commandement, on comprend que la culture l'ordonne afin de préserver l'unité de la société, et de faire bloc face aux autres sociétés.
Aimer le prochain comme il nous aime ?
Mais chacun de nous saisit bien que ce commandement ne nous demande pas de faire ce que nous faisons déjà naturellement ! Il nous demande de faire plus : aimer chacun, quel qu'il soit, même l'étranger, le dissemblable, l'opposé. Or, selon Freud, le sentiment spontané que nous ressentons à l'égard de l'étranger est la haine. Cependant, si l'étranger me témoigne de la bienveillance, de l'amour, alors je serai disposé à lui rendre la pareille.
Mais ce commandement ne nous ordonne pas d'aimer notre prochain comme notre prochain nous aime ! Et c'est justement là sa raison d'être :
"C'est bien parce que le prochain n'est pas digne d'amour, c'est bien parce qu'il est plutôt ton ennemi que tu dois l'aimer comme toi-même." Ibid.
Le prochain n'est pas digne d'amour dans le sens qu'il ne m'est pas proche, il ne me ressemble pas et ne me témoigne pas forcément de l'amour. Il n'est pas mon ennemi, mais potentiellement il peut le devenir : je me méfie de l'inconnu. Cependant, le commandement nous ordonne d'aimer en premier, sans attendre de savoir comment l'autre va se conduire envers nous, et même s'il est malveillant. Mais pourquoi un tel commandement est-il ordonné par la société ? Cela ne met-il pas en péril la société ?
Le commandement d'aimer pour contrer le penchant agressif :
Freud, en tant que psychanalyste, identifie en chaque homme un penchant à l'agression. Le prochain est la cible de ce penchant. De la simple moquerie envers son physique, ses manières, son habillement, à l'humiliation, l'exploitation, la violence physique.
Or, ce penchant agressif ne se manifeste pas seulement envers les étrangers, ceux d'une autre culture, mais aussi envers ceux qui vivent près de moi, que je côtoie à l'école, au travail, dans les magasins. Ils sont pourtant mes semblables, partageant ma langue, mes coutumes ! Cela menace l'unité de la société. La culture met donc en place, pour Freud, des barrières à ces pulsions. D'où, pour lui, la raison d'être de ce commandement : aimer son prochain comme soi-même. Cela répond aussi à la question posée dans cet article : n'est-il pas étrange d'ordonner d'aimer ?